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Quels enjeux pour une chimie bioressourcée ?
 
Chef de Projet CNRS Environnement et Développement Durable , Délégué Général de la Chaire de Chimie Nouvelle pour une Développement Durable - ChemSuD

Sylvain.caillol@enscm.fr

 

 

 



INTRODUCTION
Depuis l’histoire de l’humanité, la biomasse a toujours été utilisée par l’homme pour lui fournir les matériaux essentiels à sa vie quotidienne. Une des utilisations les plus connues des biomatériaux est leur utilisation vestimentaire, avec des plantes capables de donner des fibres telles que le lin, le chanvre ou le coton. Ces matériaux fibreux étaient aussi utilisés pour produire les liens et cordages. Mais on peut encore citer l’utilisation de la sève de l’Hévéa Brasiliensis, le caoutchouc naturel, utilisé par les peuples précolombien dès 1200av JC puis ramené par les conquistadors au XVème siècle en Europe. Il a ainsi été utilisé pour l’imperméabilisation des tissus en 1791, les pneumatiques en 1845… Ensuite, à la fin du 19ème siècle, c’est la cellulose qui a suscité beaucoup d’intérêt avec la synthèse de l’acétate de cellulose (triacétate puis diacétate) qui a été industrialisée pour l’élaboration de textiles et de matériaux par les Usines Chimiques du Rhône. Par ailleurs, sans remonter à des temps aussi anciens, on peut citer l’utilisation des pailles pour la préparation du torchis, matériaux constituant l’entre-colombage des maisons traditionnelles telles qu’on les trouve encore en Normandie ou en Alsace. Enfin la biomasse a longtemps fourni des ingrédients essentiels à la production de divers matériaux, tels que les colles, les vernis ou les savons.
 
Actuellement, notre société est fondée sur l’utilisation quasi-exclusive de ressources fossiles, en particulier pour son approvisionnement énergétique. La question n’est pas de savoir s’il y aura un pic de production, mais plutôt quand il aura lieu. En effet, tous les experts s’accordent sur la quantité et la durée de nos réserves globales en pétrole, charbon, gaz, combustible nucléaire… en fonction de notre vitesse de consommation actuelle. Ainsi, à la fin de ce siècle, nous aurons épuisé la totalité des réserves terrestres que la nature a mis des millions d’années à constituer. Et même si la chimie ne représente que 6 à 7% de la consommation totale de pétrole, l’accès aux biens de consommation, hygiène, santé, engrais, détergence…repose en quasi-totalité sur l’utilisation du pétrole et de la pétrochimie. Or cette exploitation de ressources fossiles - de carbone fossile - s’accompagne d’un transfert de matière, d’un transfert de carbone, qui par oxydation (la combustion) se retrouve sous forme de CO2 dans notre atmosphère, s’accumule et contribue à l’élévation de la concentration des fameux Gaz à Effet de Serre, responsables de l’élévation des températures moyennes du globe.
 
De même, la pollution atmosphérique et le volume de nos déchets, industriels et ménagers, restent en augmentation à l’échelle planétaire. Enfin, la population mondiale, forte de 6 milliards d’individus, poursuit sa révolution démographique : les prospectives de l’UNESCO montrent qu’elle atteindra 8 milliards d’ici 30 ans, 9 milliards d’ici 40 ans, avec deux-tiers d’urbains (pour seulement un tiers aujourd’hui). Cela signifie qu’entre 2000 et 2050, la population des habitants des villes de la Terre aura doublé. Avec des besoins énergétiques qui vont eux aussi s’accroître considérablement[1]. Que l’on pense simplement à l’évolution depuis les années 50 : la population globale a doublé en cinquante ans et ses besoins énergétiques ont quadruplé ! Les estimations de l’AIE laissent ainsi envisager plusieurs scenarii inquiétants à l’horizon 2050 : d’un doublement à un triplement de la consommation énergétique !
 
Quant à l’industrie, ces questions s’érigent comme autant de contraintes qui pèsent sur elle. Et à travers ces contraintes, l’industrie et en particulier l’industrie chimique - « l’industrie des industries », subit une révolution. L’industrie doit ainsi continuer à répondre aux besoins croissants d’une population en croissance tout en relevant des défis :
  • L’augmentation des prix des matières premières issues du pétrole ainsi que l’anticipation de l’épuisement de ces ressources. Ce phénomène complexe s’est contracté dans la période de crise financière que nous traversons, mais lors de la sortie de crise, nous allons nous retrouver dans la situation précédente d’avant crise, où ce phénomène était particulièrement intense. En effet, si on s’intéresse au prix des matières premières, on observe que le butadiène, précurseur de polybutadiène, qui est synthétisé en direct en sortie du vapocraqueur, a vu son prix quadrupler en cinq ans. Ce constat est également similaire pour d’autres précurseurs comme le styrène, des acrylates…
  • Une obligation de réduction drastique des émissions polluantes des procédés industriels et en particulier de la libération des gaz à effet de serre (CO2, NOx…),
  • Une pression règlementaire forte concernant l’utilisation des matières premières, des intermédiaires de synthèses et des produits de l’industrie chimiques, avec notamment le règlement Européen REACH[2] mais également plusieurs directives Européennes concernant le bon état des milieux aquatiques (Directive Cadre sur l’Eau - DCE), la fin de vie des matériaux (directives Véhicules Hors d’Usage - VHU[3], Déchets d’Equipements Electriques et Electroniques – DEE[4]…).
 
Ainsi, couvrir les besoins de l’humanité (énergie, nourriture, soins, hygiène, transports, équipement…) en respectant notre environnement est le principal challenge qui nous attend et que l’industrie va devoir relever dans les années futures, à travers le développement d’une réelle Chimie Nouvelle[5], respectueuse du développement durable. Elle doit développer des produits et des procédés alternatifs plus respectueux de l’homme et de son environnement. C’est cette chimie nouvelle, au service du développement durable, qui doit s’orienter vers l’utilisation de ressources renouvelables.
 
 
 


 
QUELS OBJECTIFS POUR UNE CHIMIE BIOSOURCEE ?
 
Eléments de cadrage           
Tout d’abord, partons de quelques définitions concernant les matériaux d'origine "bio". « Biopolymères », « biomatériaux » sont des vocables trop génériques pour être utilisés sans explication de texte. En effet, on différencie plutôt :
·         Les polymères naturels ou synthétisés à partir de ressources renouvelables (biomasse, agriculture)…polymères bioressourcés ou agroressourcés ;
·         Les polymères ou matériaux qui se (bio)dégradent dans l’environnement sous certaines conditions de pH, température, compost…polymères (bio)dégradables ;
·         Les polymères ou matériaux qui ne sont pas dégradés et ne déclenchent pas de réaction immunitaire dans le corps humain…polymères biocompatibles ;
·         Les polymères ou matériaux qui sont transformés en métabolites du corps humain sans toxicité…polymères bioassimilables.
 
Des objectifs de substitution de produits pétroliers
Orienter une chimie nouvelle sur l’utilisation des ressources renouvelables c’est lui donner deux grandes missions : En premier lieu, cette chimie doit viser à remplacer des ressources fossiles par des ressources renouvelables afin de s’affranchir des contrainte qui pèse sur les matières premières issues du pétrole et de réduire les émissions de carbone fossiles produites par l’oxydation des ressources fossiles. Mais cet objectif doit se doubler du remplacement des substances toxiques pour l’homme et pour l’environnement. Ainsi, il ne suffit pas se contenter de substituer une molécule pétrosourcée per une molécule identique biosourcée (on conserve l’éventuelle toxicité) mais il faut envisager également de substituer les propriétés obtenues d’un matériau par des propriétés identiques (voire améliorées) avec de nouveaux matériaux issus de ressources renouvelables.
 
Actuellement les grands enjeux liés à l’obtention de synthons issus de la biomasse sont de remplacer les résines industrielles et les composites. En effet les résines thermodurcissables par exemple, sont généralement des résines phénoplastes (formo-phénoliques) ou époxides (époxy amines ou époxy anhydride d’acide) synthétisées à partir de molécules aromatiques (phénol, bisphénol…) pour des applications de vernis, colles, liants… Dans le cas des résines formo-phénolique, on utilise le formol comme durcisseur. Le formol est classé CMR (Cancérogène, Mutagène et Reprotoxique) de catégorie 3 et il peut être relargué durant le vieillissement des résines, on le retrouve ainsi dans la composition atmosphérique des « boites à vie » que sont l’intérieure des voitures, des maisons, des bureaux. En Europe, chaque année, plus de 3.2 Mt de liants contenant du formol sont utilisés. Par ailleurs, le 4,4'-dihydroxy-2,2-diphénylpropane, plus connu sous le nom de bisphénol A (BPA), est aussi un CMR de catégorie 3 qui intervient largement dans l’élaboration de matériaux à base de résines époxydes. Par relargage depuis les matériaux d’emballage par exemple, ce xénobiotique contamine la chaîne alimentaire et compte parmi les molécules les plus fréquemment et les plus abondamment trouvées dans le plasma des consommateurs de l’Union Européenne (UE)[6]car l’oxychlorure de carbonyle, ou phosgène, composé éminemment toxique, est utilisé dans la synthèse des isocyanates, agents précurseurs des matériaux polyuréthanes. Mais si on s’intéresse au prix des matières premières, on observe que le butadiène, précurseur de polybutadiène, qui est synthétisé en direct en sortie du vapocraqueur, a vu son prix quadrupler en cinq ans. Ce constat est également similaire pour d’autres précurseurs comme le styrène, des acrylates… Ainsi, il semble réellement important de trouver des voies de substitution fondées sur des ressources renouvelables pour :,[7]. Quant aux résines thermoplastiques, il y a aussi de grands enjeux à les substituer, notamment les polyuréthanes
·         Les résines thermodurcissables : résines aromatiques époxy, formophénoliques… ;
·         Les résines thermoplastiques : polyoléfines, PU, polyamides, PVC, polyesters… ;
·         Les composites : à travers des fibres végétales mais également des matrices utilisant les résines ci-dessus.
 
Des objectifs de valorisation de la biomasse
La valorisation de la biomasse présente quant à elle des enjeux spécifiques. En effet, au-delà des enjeux liés à la collecte et à la valorisation des co-produits de filières agroalimentaires, il est des enjeux cruciaux qui résident dans la valorisation du gisement. Ainsi, la lignine représente un gisement annuel de près de 70Mt mais sa transformation chimique est relativement difficile et l’accès à des matériaux n’est pas immédiat. Ainsi les principaux enjeux de la valorisation de la biomasse résident dans :
·         Des lignines moins substituées, moins ramifiées, plus accessibles dans la plante afin de développer une chimie des polymères aromatiques pour les matériaux thermodurcissables et les matrices de composites ;
·         Des celluloses plus cristallines, avec des groupements fonctionnels afin de pouvoir développer une chimie de greffage et de substitution fondée sur la cellulose ;
·         Des amines et diamines végétales qui nous permettraient d’ouvrir toute la chimie de la polycondensation (notamment avec des cyclocarbonates…) ;
·         Des synthons permettant d’accéder à des matériaux soufrés, fluorés…
 
Des objectifs ciblés d’une chimie fondée sur la ressource renouvelable sont également de synthétiser des polymères à base de :
·         Furanne pour substituer par exemple les polymères de styrène et dérivés
·         Acides gras ramifiés pour accéder à des diols et polyols ramifiés et des matériaux polyuréthanes ou polyesters de hautes performances ;
On peut également envisager la valorisation de :
·         Polyhydroxyuréthanes
·         Polycarbonates de glycérol
 
Vers de nouvelles propriétés
L’utilisation de la biomasse peut ainsi nous permettre d’accéder à des propriétés nouvelles auxquelles les matériaux pétro-basés ne nous donnaient pas accès simplement. En effet la particularité de la biomasse est d’être constituée d’un nombre important d’hétéro-atomes – en particulier l’oxygène. Cela nous conduit à revoir notre chimie fondée sur l’oxydation du pétrole et de ses dérivés mais nous donne également de nombreuses possibilités liées à cette composition intrinsèque.
Ainsi, l’industrie chimique est aujourd’hui en attente de nouvelles propriétés qui pourraient provenir de l’utilisation des ressources renouvelables :
·         Recyclabilité : la capacité de réutiliser et de recycler est une des propriétés les plus attendues. En effet, en général, une analyse de cycle de vie sur un produit ou un procédé fait apparaître les impacts environnementaux les plus importants en amont du cycle, dans les phases d’extraction des matières premières et de fabrication. C’est pourquoi, afin de limiter les impacts environnementaux et donc d’écoconcevoir produits et procédés il semble capital d’utiliser le plus longtemps possible les matériaux et donc de réutiliser les produits. Ce constat est amplifié par le cadre règlementaire qui impose pour de nombreuses applications la recyclabilité ou la réutilisation des matériaux (directives VHU 200/53/CE, 2004/12/CE déchets d’emballage, 2005/32/CE directive cadre écoconception…) ;
·         Biodégradabilité : cette propriété doit être utilisée pour les cas où la fin de vie ne peut rentrer dans un contexte de filière de récupération et risque d’être synonyme d’abandon dans un écosystème ; ou lorsqu’on vise une dégradation dans le corps humain pour des applications biomédicales.
·         Tenue thermique : la tenue thermique reste une propriété très attendue pour certaines applications industrielles. Les résines thermodurcissables et thermostables sont en particulier ciblées pour ces applications ;
·         (im)perméabilité aux gaz : et en particulier pour la gestion des émissions de gaz à effet de serre (CO2, CH4…)
·         nouvelles propriétés/mimétisme végétal : bioressourcer des matériaux peut également nous permettre d’envisager un biomimétisme de ces matériaux avec des propriétés calquées sur celles développées par la nature. On peut en particulier envisager des propriétés de surface telles que celles des super hydrophobes (effet lotus) permettant de remplacer les revêtements fluorés pour des applications antiadhésion…
 
 


 
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
La Chimie et l’Industrie vont devoir répondre aux enjeux de 2050, avec une population de 9 milliards d’humains dont deux-tiers d’urbains avec des besoins colossaux en énergie et en biens de consommation. Mais la réponse devra intégrer de nouvelles contraintes fortes, telles qu’une transition réussie vers de nouvelles ressources renouvelables, des nouveaux procédés aux émissions de CO2 limitées et dans le respect de contraintes règlementaires accrues. La chimie de la biomasse végétale peut nous aider à relever ce défi en particulier pour le domaine des matériaux et elle peut également nous donner accès à de nouvelles propriétés difficiles à obtenir par les voies actuelles. Dans tous les cas, cette chimie doit effectuer une transition de l’utilisation prédatrice des ressources à une utilisation symbiotique.
 


[1] Le Viol de la Terre, Nil Editions, 2000, C. Ponting
[2] REACH, Règlement (CE) n° 1907/2006 du parlement européen et du conseil du 18 décembre 2006
[3] Directive 2000/53/CE Journal officiel L269, 21/10/2000, 34-43
[4] Directive 2002/96/CE (modifiée 2003/108/CE) Journal officiel de l’Union Européenne L345, 31/12/2003, 106-107
[5] Analyse de cycle de vie et écoconception : les clés d’une chimie nouvelle, les Annales des Mines Réalités Industrielles - Novembre 2008, S. Caillol

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